« Comme on traîne un bout de terre de la route en rentrant de promenade, la peinture de Sardoine Mia dépose à la surface du tableau les signes et sensations récoltés dans l’espace, les éléments saisis du monde par un regard attentif et sensible. Une forme de pudeur devant le monde qui se contredit par la prégnance du regard et du geste de la peintre. Les esquisses et les premiers travaux de l’artiste évoquent cela même : la volonté de constitution d’un territoire sensitif et mémoriel, ou plus justement, d’un territoire sensitif entre le vécu et l’imaginaire, qui sert de support à la peinture. C’est parce que la peintre apporte son identité, comme le dit Valéry, qu’elle transforme le monde en peinture. L’intentionnalité mémorielle de l’artiste réunit le sentir et le faire en vue de donner naissance à une œuvre sensible et personnelle à partir de l’agencement de fragments : de couleurs, de formes, d’êtres vivants et de fantaisies gravés dans la profondeur de pigments métalliques.

La peinture semble avoir, dès lors, pour Sardoine Mia, valeur d’évocation plutôt que valeur de représentation ou de figuration, même si celle-ci est opérante. Nul besoin de réalisme absolu, plutôt une superposition d’éléments en couches successives de lavis à la peinture acrylique qui engendre la spatialisation d’un récit, d’un imaginaire, d’une sensation : des sujets noyés dans un torrent de matière, avec leurs perspectives et leurs profondeurs. C’est une manière d’occuper la surface : tourner autour et dedans, se frotter aux bords ou s’inscrire en son centre. Les éléments figurés dansent dans un espace qui ne les contient que difficilement, mais qui permet des coexistences. Le coup de pinceau singulier de l’artiste a la faculté de capter ces associations de formes comme d’idées, sortes de cadavres exquis imagés.

Une succession de motifs qui s’enchaînent et s’entrelacent dans l’histoire du travail semble répondre d’une même nécessité de faire correspondre les temps et les espaces dans une indécision ou un suspens. La surface picturale est une zone de cohabitation temporelle, historique et spatiale. La peinture de Sardoine Mia dialogue avec la peinture même : animaux peints sur les parois, figures curieuses, paysages et objets… Voyage dans le temps et l’espace : de Lascaux, de l’Italie et de la Grèce aux traits des peuples africains, la peinture peut se révéler dans cette confusion des temps que l’œuvre nous fait traverser. L’Egypte a en outre une forte valeur d’évocation en tant que remontée de la forme à la surface, en plan vertical, ramené au devant, sans perspective et sans illusion.

Coïncidence de plusieurs sensations dont la peinture rend compte dans la cohabitation des figures qu’elles laissent voir, il est question de demeure, de ce qui demeure du temps de l’histoire, ce qui demeure au cœur du sensible, ce qui demeure immobile. Les sujets que travaille l’artiste pourraient être partout, ils ne donnent pas à voir un élément significatif du paysage, de tel lieu, ils évoquent la sensation de l’ici et du maintenant, transposable en tous points de l’espace. Pas de lieu, donc. Des espaces sensibles, mixtes de désirs et de souvenirs (dit l’artiste), ils se présentent comme des masses colorées, blocs de couleur qui figent l’espace naturel, l’aplatissent, le décollent de la perspective. Pas d’illusion, ni de soupçon de vérité, on est bien devant l’image, devant une surface, mais dont les éléments hétérogènes se cognent telles des plaques géologiques et s’ajustent à leurs bords. Et la peinture, celle de Sardoine Mia, coïncide avec l’existence même d’un regard qui sédimente le réel visible en suspendant le temps. »

Texte de Roger Calmé.